| INTERVIEW | « NOTRE ACTION CULTURELLE VISE À ÊTRE LE PLUS POPULAIRE POSSIBLE »

Depuis quatre ans, Benoît Betchen occupe le poste de directeur de la culture et de l’Espace 93 de la ville de Clichy sous Bois. Sa principale mission est de penser une politique culturelle pour la ville par le biais de divers lieux (conservatoire, bibliothèque…) et d’organiser des évènements festifs, comme le festival Effervescence. L’Étincelle a souhaité le rencontrer pour comprendre la politique culturelle de la ville, et comment celle-ci s’était remise du trou noir causé par la pandémie.

Propos recueillis par Sabrina Ben Djillali.

Sabrina : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Benoit : Je m’appelle Benoit Betchen, je suis directeur de la culture et de l’Espace 93 de la ville de Clichy sous Bois. Ça fait quatre ans que je suis à ce poste, et à ce titre je m’occupe de mettre en œuvre la politique culturelle de la ville de Clichy-sous-Bois à travers ses différents équipements (le conservatoire, la bibliothèque, l’Espace 93, la micro-folie mobile), ainsi qu’ à travers des événements tels que le festival de cultures urbaines Effervescence ou des projections de cinéma en plein air pendant l’été.

Sabrina : Pouvez-vous nous décrire les projets réalisés l’an dernier ?

Benoît : L’année 2021-2022 a été très dense parce que la saison culturelle qu’on a vécue a été marquée par de nombreux spectacles, plus que d’habitude. Après deux années de pandémie et de confinement pendant lesquelles a dû reporter des spectacles, on a dû donner d’autres rendez-vous aux artistes et tout ça s’est concentré sur la saison 2021-2022. C’est la raison pour laquelle on a eu beaucoup de spectacles à organiser et à accueillir. C’est aussi l’année du démarrage de la micro-folie mobile, un dispositif innovant de médiation culturelle numérique qui a été présenté dans toutes les écoles de la ville. L’idée générale, c’est de sensibiliser le public à l’art et la culture. Il y a encore beaucoup de gens ici qui n’ont peut être jamais mis les pieds au Louvre, jamais mis les pieds au musée d’Orsay, et grâce à la micro-folie mobile ils peuvent accéder à ces œuvres et peut-être pourquoi pas avoir envie d’aller vraiment voir l’œuvre dans un musée par exemple. Il y a également eu le retour du festival Effervescence après deux années d’interruption, et on a donc accueilli en juin un plateau composé d’artistes locaux. Ça a été un très beau moment pour tous et toutes.

Sabrina : Quel est le public visé par votre politique culturelle ?     

Benoît : Ces projets-là et toute l’action culturelle ciblent l’ensemble de la population. On essaye d’aller vers tous les publics puisqu’il n’y a aucune raison de se concentrer sur une catégorie d’âge en particulier. Il s’agit vraiment d’être le plus populaire au sens noble du terme. C’est pour ça qu’on a une politique d’action culturelle en direction du jeune public très forte avec une programmation  qui leur est réservée. Cette année on avait neuf propositions de spectacles. Dans la saison de l’Espace 93, on va travailler via le conservatoire ou via des associations autour des pratiques artistiques. Par exemple, on a le projet Démos qui permet à des jeunes qui n’ont pas la chance d’aller au conservatoire et qui n’ont pas appris la musique, de découvrir un instrument pendant trois ans.  Dans les premiers mois de cette opération, les jeunes reçoivent un instrument et ils vont être coachés par un animateur pour découvrir le monde de la musique, le monde du travail d’orchestre. À la fin de chaque année, ils vont participer à un grand concert avec un orchestre dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. C’est exceptionnel car de jeunes enfants pratiquant la musique depuis quelques mois se retrouvent sur la scène de la Philharmonie de Paris, ça les met beaucoup en valeur et permet de leur donner l’envie d’aller plus loin et d’apprendre la musique. Ça, c’est un exemple d’action culturelle qui cible la jeunesse. Le festival Effervescence, quant à lui, s’adresse plutôt à un public jeune adulte de 12-35 ans. On essaie de s’intéresser à la fois aux très jeunes comme aux plus âgés, et que cette programmation soit l’occasion pour une famille de sortir, de créer un moyen d’échange et de dialogue entre générations. 

Plus tôt on habitue les gens à aller dans une salle de spectacle, plus on les rend perméables et sensibles à la chose artistique      

Sabrina : Les événements sont-ils payants ?

Benoît : Ça dépend des cas. La saison de l’Espace 93, c’est une saison payante, mais si tu te plonges dans le programme de cette année ou celui de l’année dernière, tu verras que les tarifs ne sont pas très élevés par rapport à d’autres salles de spectacles très proches de chez nous. L’argument financier ne doit pas être un obstacle, on fait des tarifs bas. On ne peut pas tout faire gratuitement parce que la culture a un coût et je ne pense pas que le tout gratuit soit une solution. Ce ne serait pas tenable.  

Sabrina : Les tarifs varient-ils selon l’âge du public ?

Benoît : Pour les spectacles vivants, il y a des tarifs adaptés aux jeunes. À L’Espace 93, il y a des dimanches de cinéma avec un tarif de 4€ et de 3€ pour les moins de 16 ans. On participe aussi évidemment au pass culture qui donne la possibilité aujourd’hui à tous les jeunes à partir de 15 ans de disposer d’un capital de 300€ avec lequel ils peuvent acheter des livres, des places de spectacle, de cinéma, etc. C’est un bon moyen pour la jeunesse de découvrir l’art et la culture sans en supporter le coût.   

Sabrina : Comment faites-vous pour sensibiliser les habitants à participer à ce genre d’événements ?

Benoît : La participation, c’est le grand sujet qui occupe la majorité de notre temps et la majorité du temps de tous les services culturels de toutes les villes de France. Je veux parler d’un phénomène qui est bien plus large que Clichy-sous-Bois, ça concerne toute la population française et toutes les personnes qui font de l’action culturelle dans les villes. Aujourd’hui, si on descend dans la rue et qu’on va dans un quartier interroger une personne au hasard, je ne suis pas persuadé qu’elle sache tout ce qui se passe ici. Pour L’Espace 93, certains vont peut-être dire : “Ah bah oui je connais jy suis allé quand j’étais à l’école”. C’est le résultat de l’action culturelle en direction de la jeunesse. Mais on ne communique jamais assez. Pour autant, on fait des choses : on a un site internet pour l’Espace 93, il existe également un site pour la bibliothèque, et il y en aura bientôt  pour le nouveau conservatoire qui est en construction (sa livraison est prévue début 2023, ndlr). On envoie des newsletters, on a des listes e-mails, on met des affiches dans la ville et à l’extérieur de la ville. Bref, on utilise l’ensemble de la panoplie du communicant pour faire savoir et pour faire connaître. On compte aussi sur le bouche-à-oreille et on espère que les publics qui viennent chez nous et participent à nos activités vont être des ambassadeurs de ce qu’on fait.

Sabrina : L’école est souvent désignée comme le premier intermédiaire permettant de relier les jeunes à la culture. Est-ce que cela fonctionne ? 

Benoît : C’est certain qu’on peut faire de grands progrès dans l’interaction entre le monde de l’éducation et le monde culturel, mais ici à Clichy-sous-Bois je trouve qu’on est quand même très en lien. On a des contacts quotidiens avec les établissements scolaires, les professeurs et les directeurs d’écoles pour leur proposer des projets et s’associer à des actions culturelles. On leur propose de rencontrer un orchestre, d’amener une classe à la Philharmonie de venir à une exposition, etc. Toutes ces démarches-là, ce sont des petites briques qu’on pose les unes après les autres. Plus tôt on habitue les gens à aller dans une salle de spectacle, plus on les rend perméables et sensibles à la chose artistique.      

Pendant le confinement, on a fait un autre métier     

Sabrina : Au début de notre interview, vous avez évoqué la période de la pandémie. Quelles ont été ses conséquences ? Votre politique culturelle a-t-elle évolu

Benoît : On a fait un autre métier pendant la période du confinement. Il y a eu un afflux d’appels téléphoniques de personnes qui se présentaient au comptoir du CCAS (Centre Communal d’Action Sociale), et toutes les personnes du service culture ont accepté de tenir un standard téléphonique pour renseigner les gens. Quand il y avait des distributions de denrées alimentaires, il fallait par exemple gérer les foules, et donc on a des techniciens qui sont allés aider. On s’est adaptés à la situation en espérant que l’activité reprenne. L’activité a repris à l’automne 2020, mais elle s’est très vite arrêtée. On a fermé de nouveau les salles de spectacle et les cinémas, et on a passé toute l’année à attendre la réouverture. Tous les mois, on se disait “dans un mois, ça va ouvrir”, on attendait, on repoussait, on reportait les spectacles… Ça a été une période complexe car on est tous passionnés par notre métier, et on se retrouve du jour au lendemain à ne pas pouvoir faire ce qu’on aime. C’est déstabilisant. On a essayé de se re-déployer dans d’autres services culturels, par exemple en maintenant du prêt à distance à la bibliothèque. Mais on espérait très fort que ça reprenne, ce qui a heureusement fini par arriver.

Sabrina : Depuis la pandémie, le public est-il au rendez-vous ?

Benoît : Depuis la réouverture des salles de spectacles, malheureusement, ça a diminué. Mais c’est la même chose partout en France, la fréquentation a fortement chuté parce qu’il demeure des craintes et d’autres habitudes ont été prises par le public. En fait, je pense qu’on a récupéré le public fidèle et motivé, celui qui avait soif d’aller aux spectacles, et qui n’attendait qu’une chose – comme nous -, que ça rouvre. Celui-là, on l’a retrouvé facilement, mais tout le public dit occasionnel, celui qui vient à la faveur d’un spectacle, c’est beaucoup plus compliqué, et c’est pour ça qu’on a une baisse de fréquentation. On espère bien que cette saison va nous permettre de petit à petit regagner le public qu’on a perdu.