Dans cette chronique, Shaïma raconte l’histoire de son père, de son rapport à l’école et au quartier. Retour en 1969.
1969, mon année de CP. Premier de la classe. Ma prof, Mme Colibri. Ma seule bonne année d’école. On m’a même proposé de sauter une classe. CE1, Mme Bureau. Placé au fond de la classe, je en m’amusais plus à l’école. J’en avais la boule au ventre tous les matins.
Un jour, Mme Bureau m’a puni. J’ai passé trois heures debout au fond de la salle. J’avais 8 ans, j’étais un petit garçon calme et vivant. Je crois que c’est bien elle, Mme Bureau, qui a marqué ce point de départ, qui a déclenché mon calvaire scolaire. Dès le lendemain, j’ai décidé de faire l’école buissonière.
Avec deux amis, on déposait nos cartables derrière les poubelles de l’école, et on filait en douce faire le tour de la ville. Nos terrains de jeu, à Montfermeil ou à Clichy-sous-bois. On escaladait tout, les toits, on trainait dans les parcs. En fin de journée, on récupérait nos sacs derrière les poubelles de l’école et on rentrait comme si de rien n’était. Ça a duré trois mois, mes parents ne l’ont jamais su. Aucune lettre ne leur a jamais été envoyée.
L’année suivante, on m’a changé d’école. Une année de répit avant de retomber sur une prof qui m’a frappé. Ma haine pour l’école a grandi. Arrivé en sixième, c’était trop tard. Placé en plomberie, en maçonnerie, je me suis accroché avec un nouveau professeur.
1979. J’ai à peine 16 ans. Je ne mettrai plus un pied à l’école. Pendant ce temps-là, dans les quartiers, des grands passaient avec de belles voitures américaines, et déposaient des paquets de drogue que les jeunes revendaient. On l’appelait l’héroïne, la blanche. Ils pensaient que ça leur faisait du bien, elle faisait oublier aux copains l’échec et l’ennui. Au début, ils se cachaient pour se piquer, mais après on en voyait partout dans les escaliers, les halls, les local à vélo, les séchoirs sur les toits.
Sur les terrains de foot, on ramassait les seringues avant de jouer. De mes amis d’enfance, il ne reste plus qu’une centaine de tombeaux dans les cimetières de Clichy-sous-bois. Moi, je n’y ai jamais touché, mais j’ai été témoin de ces années noires. Plus tard, les grands ont été arrêté, voitures de luxe, villas saisis. Certains ont fui à l’étranger, mais ça n’a pas fait revenir mes copains d’enfance.
Je suis resté, un peu amer, mais je suis là. Je suis devenu peintre. Peintre en bâtiment pendant huit ans. Vous ne me croiriez pas si je vous disais que j’ai même peint la Tour Eiffel. Assis sur un échafaudage, une main accrochée, le pinceau dans l’autre. Plus tard, je suis devenu gardien d’immeuble.
Et aujourd’hui, je travaille ici, pas loin, à Clichy-sous-bois.